Description
Avant-propos
La parfumerie est un art. Artistes, les parfumeurs le sont chaque jour. Chaque formule créée est une oeuvre, qui puise ses racines dans l’histoire de la parfumerie, et promène nos nez à travers les siècles et les continents. La collection du Speed-Smelling 2017 utilise l’ironie propre au mouvement post-moderne, pour casser les codes et mieux les reconstruire. Déroutant, libre, c’est l’art de la parfumerie qui décoiffe et fait rêver, et donne envie de respirer à plein nez.
Introduction
Les sociétés de composition* n’ont pas souvent l’occasion de s’adresser directement au public. Et pourtant ces sociétés sont un vivier de talents à découvrir. Pour les révéler, il faut créer l’occasion, et celle-ci se présente chaque année depuis 2009, lorsque parfumeurs d’International Flavors and Fragrances et journalistes se réunissent, les uns pour parler de leur art autour de parfums inédits, les autres pour mieux les découvrir et comprendre leur personnalité propre qui s’exprime dans leurs créations. Cet événement a été baptisé le Speed Smelling™. Comme une empreinte de la dernière édition, vous trouverez dans ce coffret quatorze flacons et la description des trésors olfactifs qu’ils contiennent. Les mots suivis d’un astérisque sont définis dans le glossaire à la fin de ces fiches.
Le Speed Smelling
Les parfumeurs d’IFF* aiment les défis créatifs. C’est ainsi qu’est né le Speed Smelling™, un jeu de rencontres audacieux. Comme pour un speed dating, il faut séduire, en moins de 7 minutes, les plus exigeants des jurys français: les plus respectés des journalistes et blogueurs parfums en France. A cette occasion, quatorze parfumeurs vont défendre leur composition olfactive. Exercice créatif sans contrainte, sans limitation de coût, ce Speed Smelling™ permet aux parfumeurs d’IFF d’exercer librement leurs talents d’artistes de l’odeur. Leurs créations doivent attirer l’attention, séduire, être reconnues, retenues aussi… Hors des sentiers battus, et des chemins habituels de création, ils prennent des libertés bienvenues et secouent les codes de la parfumerie. Un vent de liberté souffle sur le Speed Smelling™: sentez-le! Qui sait où il vous amènera ?
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Fanny Bal
Inspiration
Ambre, nom ambigu. D’abord gris en tant que concrétion du cachalot, l’ambre se détache de l’animal pour inventer sa propre référence olfactive au début du XXème siècle. Il se fait dès lors accord* mythique, agrégé autour d’un duo de vanille et de labdanum. Les bases* de parfumerie, dont l’Ambre 83 de la fabrique De Laire, participent à sa popularité. Mi-magicienne, mi-archéologue, Fanny Bal s’est penchée sur les formules de ces bases historiques, pour en retirer les aspects désuets, sans pour autant dénaturer leur beauté originale. Elle imagine donc ce que serait la base Ambre 2017 à incorporer dans un parfum, et pour l’exercice, elle en propose la déclinaison gourmande, sous un nappage Nutella. Du fast-moving consumer goods dans un écrin de haute-parfumerie: la post-modernité est bien au rendez-vous.
Description
Ambre mis à nu. Des multiples ingrédients originaux de l’accord illustre, les principaux sont conservés. On retrouve, dans cette nouvelle composition, le ciste – arbrisseau méditerranéen résineux à l’origine du labdanum, sous sa forme d’absolu* il évoque l’encens, il est ici renforcé par le moderne ambroxan – mais aussi la vanilline. Pour la beauté de l’ingrédient naturel, de la gousse de vanille C02* LMR* a été ajoutée, comme un cuir végétal et salivant. Viennent ensuite les modifications, l’ylang initial, entêtant, est remplacé par un jasmin plus léger. Des baies roses se substituent aux épices de la graine de coriandre. En fond, le patchouli indonésien MD* LMR, le vétiver haïtien MD LMR, et le santal blanc proposent une solide architecture chyprée et boisée en contrepoint d’un cacao absolu MD LMR, à la source de l’effet Nutella inattendu. L’ambre est revêtu.
Nicolas Beaulieu
Inspiration
Au cœur du travail de modernisation, il y a une base* créée par IFF* au siècle dernier, l’Épicène Gamma. L’appellation est à tiroir, ses évocations multiples. «Gamma», on entend par la fin qu’il s’agit d’un fruit de la chimie. «Epicène» en tête, le nom cache des épices, mais aussi, à l’heure du débat grammatical sur le masculin et le féminin, il offre le salut du genre neutre. On dit «épicène» des mots identiques selon le sexe. Généralement le féminin finit par l’emporter. Dans le cas de l’épicène gamma, initialement unisexe, le masculin a eu l’avantage dans les années 80, car la base est à l’origine de nombreux succès pour hommes.
Description
Pimentée, cuirée, mais aussi un peu verte, L’épicène Gamma est sous la tension de nombreuses facettes. Dans son interprétation, le parfumeur a amplifié le contraste en jouant la carte d’une épice fraîche, une demande récurrente pour les parfums masculins. Pour le noyau, muscade et sauge sclarée – ici de qualité LMR* – sont conservées, conformément à la composition originale. Pour les modifications, la base est débarrassée de ses muscs nitrés un peu vieillots, au profit d’un cocktail de muscs récents, comme l’Ambertonic™ et la Sinfonide™, captifs* dernièrement sortis des laboratoires IFF. L’isobutyl quinoléine, aux notes de cuir et de poivron vert, est remplacée par un accord* du tout neuf Saffianio™ – suggestion de cuir patiné –, et de lentisque aromatique. Le contraignant eugénol, connu pour son effet girofle daté, est renouvelé par le poivre noir de Madagascar. Comme en une translation géométrique, la base se fait parfum, tout en nuances renversées et pourtant parfaitement liées.
Alexis Dadier
Inspiration
La démarche se situe à mi-chemin entre le collage-recyclage, cher aux postmodernes, et le développement durable, puisqu’aucune nouvelle ressource n’a été entamée. Les concentrés de parfum mobilisés ici sont des matériaux récupérés et réorientés dans une formule neuve. Alexis Dadier a en effet imaginé et réalisé ces dernières années des dizaines d’accords* complexes, de toutes sortes d’évocations. Au laboratoire, les concentrés, déjà pesés sont disponibles pour les essais, en fonction des compositions. Le Speed Smelling™ 2017 mettant le postmodernisme à l’honneur, Alexis Dadier a puisé dans cette palette de mini-parfums et les a assemblés. Comme pour le mouvement artistique contemporain, l’innovation vient de la réorganisation de formes préexistantes, qui dès lors prennent une valeur inédite. Pas question donc de faire table rase du passé, au contraire, l’artiste doit faire oeuvre de mémoire et d’ingéniosité pour réemployer, ré-agencer ou réinterpréter des éléments déjà constitués. À partir de morceaux supposés hétéroclites, l’assemblage crée des liens et redessine les figures, devenues nouvelles et originales.
Description
Le parfum présenté naît de la juxtaposition de quatre accords que le parfumeur a conçus en amont du travail. La nouveauté tient dans leur insolite réunion. À l’image d’un rébus, ces accords s’additionnent pour créer un tout qui n’en soit pas que la somme. Mon premier est un lait d’amande, autour d’une essence* d’amande amère. Mon deuxième est un thé Genmaicha qui suggère fidèlement le riz soufflé dans des feuilles de thé vert, constitué, entre autres, d’absolu* sésame et d’absolu maté. Mon troisième rappelle un chanvre brut, textile végétal, dans lequel se retrouvent du romarin tunisien LMR*, du patchouli LMR, du lentisque LMR ainsi que de l’absolu foin LMR. Mon quatrième est un accord fougère masculin. Mon tout est un lait vegan, à la fois chic et urbain, mais aussi confortable, rassurant comme les nourritures saines, bio. Une innovation par le retour aux sources, et des ressources préservées.
Loc Dong
Inspiration
Gourmandise, avarice, envie, paresse, luxure, orgueil, colère, après un examen de conscience (même rapide), les sept péchés capitaux se détectent aussi en parfumerie, à travers toute son histoire, y compris récente. Comme un élixir expiatoire, Loc Dong a créé un condensé des péchés de son métier, de son industrie. À chaque ingrédient correspond un travers ou un abus, constatés avec le sourire. Ici le but n’est pas de dénoncer mais de rire ensemble. Et parce que les sept péchés ont souvent été un thème d’inspiration artistique, il s’agit de recycler, détourner et d’exacerber en toute post-modernité, des tendances olfactives historiques, ayant marqué leur temps. Le miroir est très grossissant.
Description
Si ce parfum est à recevoir comme une confession des péchés que la parfumerie impénitente a commis au cours de son histoire, la liste ne peut être exhaustive, tant du point de vue des ingrédients que de celui des petits vices reconnus. Commençons par la gourmandise, cette fameuse overdose de veltol censée ravir nos cœurs de midinettes régressives. Elle est avouée. Elle est connexe à la paresse lascive, à cette fameuse addiction – du terme aussi nous abusons, il faut le dire – sans objet le plus souvent, représentée par un absolu* feuilles de tabac. Le dernier tabou en date. La luxure est incarnée par la femme dévergondée faite fleur, à savoir, la tubéreuse en absolu LMR*. Sensualité, le mot est lâché. L’orgueil se retrouve dans un excès de dihydromyrcenol, la molécule du propre-sur-soi-tu-l’as-senti-oui-merci-ça-suffit, l’hygiène en version années 80. Une essence* de galbanum, icône pieuse de la note verte, à la mode green washing, interprète le fanatisme pour le tout naturel, provoquant l’ire des parfumeurs attentifs à ce qu’on ne dévalorise pas la synthèse. Le Cosmofruit™ incarne la modernité envieuse, ce Graal de l’innovation après lequel tout le monde court. Et enfin, péché des péchés, le carnaval du storytelling qui fait parfois dire au parfumeur de la pure poésie sonore, incarné ici par un absolu sirène, entièrement naturel, fait main par des pêcheurs islandais sous un nuage volcanique. Prenez et sentez, et souriez.
Caroline Dumur
Inspiration
Chez les fleuristes, l’oeillet dispute à la rose la faveur des bouquets, en parfumerie, l’oeillet n’est plus depuis longtemps la fleur des cœurs. Peut-être d’abord parce qu’il n’y a pas de matière naturelle qui en soit issue, peut-être aussi parce qu’elle est souvenir olfactif de nos aïeux, aïeules faudrait-il préciser. Fleur monument autrefois, à l’origine de nombreux succès, elle revient doucement en grâce. Sans renoncer aux exigences olfactives de sa génération, Caroline Dumur joue le jeu de la fleur héritage, lourde d’histoire et de symboles, depuis les gouttes de sang du Christ dont le Dianthus – fleur des dieux – serait né, aux ré- volutions que l’oeillet a parées. Mystique, solaire, explosif, il s’agit de le porter fièrement au cou plutôt qu’à la boutonnière.
Description
Anatomie de l’oeillet. Prestidigitation de la matière. L’oeillet apparaît, selon les traditions de formulation, quand on rapproche la rose et l’eugénol. Voilà la fleur épicée. À cela il faut aussi ajouter des composantes solaires que peut apporter l’ylang, et de l’iris pour poudrer l’effet. A bien regarder ce nouvel oeillet (la fleur nous voit-elle en retour, ainsi nommée?), la structure, telle qu’on la retrouvait dans les bases qui lui étaient dédiées, est maintenue. Les qualités utilisées sont de la plus haute extraction: rose turque LMR*, iris concrète* LMR, ylang extra LMR. Mais, modernité oblige, l’eugénol est remplacé par un cocktail de poivre noir de Madagascar, LMR, et de baie rose C02* LMR. Pour compléter le lift-ing sensitif, des aldéhydes C12 couronnent la tête fleurie, une impression montante et brûlante comme un encens, ancêtre de tout parfum. L’oeillet s’en trouve tout renouvelé, mais aussi transgenrisé. La fleur est devenue plus mâle, mais pas moins charnue. Car la chair, la peau sont aussi appelées par cette fleur, dite ailleurs «carnation».
Anne Flipo
Inspiration
Il y a entre un parfumeur et certaines matières des affinités plus fortes que pour d’autres, voire ce qu’on peut appeler un coup de foudre. Quand elle avait 20 ans, Anne Flipo a ressenti cela pour une base* qui lui a renversé le cœur, l’Abrensa. IFF* l’avait créée à la fin des années 70, autour d’une inspiration ambrée, boisée, mousse, notamment grâce à une molécule de synthèse* appelée Veramoss™, qui participe à la puissance et la rémanence de la composition, deux attentes très contemporaines sur les fragrances actuelles. Raison de plus pour réinventer cette base. Comme pour un casse-tête en bois, le parfumeur a désolidarisé les différents blocs de la formule initiale de l’Arbrensa, pour les réorganiser et en changer certaines pièces. Retour sur une vieille histoire d’amour, ragaillardie par un coup de jeune.
Description
L’Arbrensa peut se concevoir comme un triptyque, composé de trois blocs distincts et pourtant imbriqués: le premier crémeux, le deuxième ambré et le dernier boisé. Pour la crème, Anne Flipo a joué avec des lactones, telles que la bicyclononalactone, un nom comme un vire-langue, aux tonalités apéritives de fève tonka lactée. Le labdanum résinoïde* MD* LMR* apporte les notes ambrées classiques, tandis que le Trimofix décale l’ambre vers le bois. Le healingwood LMR, le plus pur cœur du patchouli, entraîne à son tour la composition vers un chypre légèrement humide, confirmé par la présence boisée fraîche du bien nommé Coolwood™ d’IFF, molécule captive* de dernière génération. Une base solide pour un parfum qui a de la trempe, addictif par excès de caractère.
Jean-Christophe Hérault
Inspiration
Ces dernières décennies, la palette du parfumeur a connu de nombreux changements. Elle a subi d’une part des suppressions, qui concernent les matières animales naturelles en particulier, d’autre part des ajouts, à travers la découverte de molécules de synthèse* ou d’ingrédients naturels, issus de la recherche féconde en ces deux domaines. Les ingrédients récents peuvent parfois pallier la disparition des anciens. Jean-Christophe Hérault, regrettant l’effacement des notes phénolées – ces notes de cuir patiné passé par l’écurie qui donnent tant de cachet à une composition –, entreprend de les restituer dans un accord de rhum vieilli en fût de whisky. Le renouveau est aussi celui de la gourmandise – territoire souvent associé au veltol, ici absent –, suscitée par un chypre spiritueux.
Description
Apéritif ou digestif, l’accord rhum au centre de la composition restitue une proximité avec le whisky dont il aurait partagé le fût boisé. La salivation commence avec un absolu* rhum, aux notes de caramel épicé. Il est amplifié par des essences* fruitées d’orange nova et de mandarine. L’effet n’est pas sans rappeler celui d’un Grand Marnier. L’essence de davana LMR* complète de ses notes cerises le bouquet liquoreux. Pour la présence boisée, elle est inspirée par une essence de gaïac, aux évocations fumées, associée à une essence de vétiver haïtien LMR, légèrement cuir. La présence de patchouli confirme la structure chypre de la proposition, dans un esprit de belle parfumerie «à la française». La licence, certes de niveau IV, permet de rapprocher tous les usages de la distillation, parfums et spiritueux. Deux chemins longtemps confondus, le parfum ayant été buvable jusque sous le premier Napoléon.
Bruno Jovanovic
Inspiration
C’est un col de fourrure imprégné de musc, porté par une femme autrefois. Le souvenir d’un parfum d’histoire personnelle, et pourtant partagée par beaucoup. Cette image olfactive, Bruno Jovanovic la retrouve dans une base* créée par IFF*, il y a longtemps, la Tonquitone. Conçue pour évoquer le musc Tonkin – musc disparu de la palette du parfumeur en raison de sa provenance animale protégée –, la base embrasse tous les éléments suscités, et la note fauve et la féminité. A travers des muscs de synthèse*, des molécules récemment inventées, et des muscs végétaux, le parfumeur réinterprète la composition historique, pour convoquer au présent un passé restauré, une fourrure sans chasse d’espèces menacées.
Description
L’animal est de retour. Il est même de genre plutôt féminin. Sa trace est ressuscitée dans un accord de Bellanone™, molécule captive* développée par IFF*, belle comme un musc de peau, et d’absolu* de graines d’ambrette LMR*, la seule évocation musquée d’origine végétale. L’ambrette, de la famille des Hibiscus, rend dans ses graines toute l’animalité d’une fleur sexuelle. On y décèle aussi l’appel à l’ivresse d’une note Cognac. Cette matière a le parfait profil pour participer à un accord fourrure enveloppant. Il contraste avec un souffle frais, océanique, de la molécule Maritima™. L’effet suggère des cristaux salins accrochés au pelage, une toison d’or conquise sous les embruns. La réminiscence est aussi celle d’une féminité féline et chaloupée, couverte d’une grande étole auburn de Mustela, nom scientifique du vison, dont la sonorité rappelle une crème doucement musquée.
Juliette Karagueuzoglou
Inspiration
Parfum et musique, de nature immatérielle, ont été pendant longtemps les voies privilégiées de la communication divine. Réjouies des belles choses, nourries d’odeurs plutôt que de chair, les créatures célestes semblaient adoucies par les volutes carboniques qui montaient des autels. Aujourd’hui l’encens et la myrrhe suffiraient-ils à satisfaire leurs narines gourmandes? Juliette Karagueuzoglou parie qu’ils faut ajouter à l’offrande un peu de notre temps, aussi propose-t-elle une tablette de chocolat en plus de l’ordinaire exquis, l’encens que les idoles reçoivent depuis plusieurs millénaires. Sans nulle doute de quoi réveiller leur curiosité et leur faim de plaisirs terrestres. Les dieux enverront-ils leurs commentaires par WhatsApp?
Description
Par l’odeur de chocolat, alléchés, les dieux depuis leur nuage se sont penchés. C’est un absolu* cacao MD* LMR* qui menait l’affaire. Une eau de coco, esprit sain, esprit bio, les a tout de suite rassurés. Ici nous ferons notre table, la gourmandise n’est plus peine capitale. Autrefois dite orientale, notre appétence penche maintenant vers le sucré. Heureusement, l’encens est là, fidèle à nos autels. C’est un cœur d’oliban LMR*, délesté de son antique poussière, qui lance l’appel. Au fond, les trompettes musquées, des dieux jusqu’alors inconnues, se sont présentées, par leurs noms s’il vous plaît. Amber Xtreme™, Sinfonide™, Ambertonic™: les dieux étaient euphoriques. Devant tant de modernité, ils se sont inclinés, repus, ils se sont endormis. C’était pour eux une grande et bonne bouffée!
Sophie Labbé
Inspiration
Blockbuster de l’histoire de la parfumerie, l’Eau de Cologne – née en Italie mais rendue populaire en Allemagne – traverse les âges et son succès ne décroît pas. La structure agrumes + aromates + épices est devenue une famille olfactive et l’appellation «Cologne», dans certaines parties du monde, un synonyme de parfum. Se frotter à l’Eau de Cologne, la réinterpréter, reviendrait en quelque sorte à réé- crire la scène d’Hamlet parlant au crâne de Yorick, décliner la Joconde, voire manipuler le code génétique de l’espèce. Parfaitement fidèle au credo postmoderne, Sophie Labbé révise sans complexe la structure, comme en un exercice de style, avec pour contrainte la suppression des agrumes, rien que ça.
Description
Héritière de l’Aqua Vitae, on prête à l’Eau de Cologne de multiples vertus médicinales. Elle est associée depuis longtemps à la notion de fraîcheur, elle-même corrélée aux agrumes. Or, en Deux-points-zéronie, la Cologne se fait sans agrume. Pour conserver sa vigueur, le parfumeur compense l’absence des citrus par des épices du type gingembre, en qualité ginger oil fresh LMR*, choisie pour son effet de rhizome tout juste râpé. L’essence* de graine de coriandre, très facettée, remplace, par ses notes épicées, boisées et aromatiques, la bergamote. On retrouve aussi une pointe d’amertume apportée par la gentiane en absolu MD* LMR. Les notes poivrées de la baie rose et du puissant élémi participent à suggérer une présence hespéridée poivrée. Cette Cologne a aussi l’avantage de répondre aux exigences de son temps, c’est-à-dire de devoir durer. Des muscs prolongent son sillage, Ambroxan, Ambertonic™ et Sinfonide™, pour ne citer qu’eux, ainsi qu’un vétiver cœur* LMR, à l’origine d’un fond chypré. Le résultat est une fraîcheur durable, un bel oxymore de la contemporanéité.
Domitille Michalon-Bertier
Inspiration
Ceci n’est pas un musc. Le musc aujourd’hui est partout, et pourtant il n’est littéralement nulle part. Il porte la nostalgie d’un temps ancien de la parfumerie où le musc Tonkin ensorcelait les cœurs et accrochait les fonds. Il est aussi substitution par la chimie d’un ingrédient complexe, animal – euphémisme qui veut dire sale –, par des molécules non moins complexes, mais très propres en raison de leurs connotations, puisque, pour certaines, associées aux odeurs lessivielles. À cette absence s’en greffe une autre, l’odeur du tabac. On ne fume plus, on vapote. Puisque l’heure est aux simulacres, le parfumeur propose un trompenez : musc sans musc, tabac sans tabac, à l’image de l’art de la parfumerie. Un art de l’illusion où l’évocation (d’une source) n’est pas synonyme de présence (de cette source).
Description
Les ingrédients de la formule importent finalement peu. Ils sont seulement au service des effets ressentis: musc Tonkin et tabac. On pourrait énumérer quelques uns de leurs noms – Ambertonic™, Ambrettolide™, Sinfonide™ – qu’ils ne suffiraient pas à suggérer l’odeur créée. À cela, on pourrait ajouter – pour apporter aux muscs blancs pré- cités un peu d’animalité – une base* civette, sans civette, et une base* castoréum, sans castoréum, du cru du parfumeur, qu’on n’en révélerait pas pour autant les ingrédients. N’oublions pas que la formulation en parfumerie est sous le sceau du secret. On pourrait aussi, sur une affinité vanille et fève tonka, parler des prémices d’un accord* tabac, mais il faudrait ici encore s’arrêter. Il vaudrait donc mieux se référer, en matière de suscitation de la forme, au maître en la matière, rien moins que Picasso, qui disait en toute simplicité: «quand je n’ai pas de bleu, je mets du rouge». Et cela se passerait de commentaires.
Julien Rasquinet
Inspiration
Au berceau de la parfumerie, il y a la myrrhe. Plus exactement le parfum est originellement myrrhe, c’est-à-dire des larmes résineuses brûlant sur les autels, offertes par les hommes aux dieux qui les gouvernent, cadeau de ce que la Terre porte de plus beau. Retour reconnaissant à l’envoyeur. Alors quand il a été demandé à Julien Rasquinet de plonger dans l’histoire de la parfumerie pour y trouver du nouveau, il a choisi de commencer par la genèse. Il s’est fait généticien du parfum et, de son ADN, il a retenu l’ingrédient premier et un geste inaugural : sa mise à feu. Puisque dans parfum, il y a fumée, et que la fumée ne va pas sans le feu. Vous me suivez. Le tableau imaginé est donc celui d’une larme de myrrhe frottée au silex, devenue incandescente.
Description
La matière au centre de la composition est peut-être la plus vieille de la parfumerie, son extraction et sa qualité ont requis les techniques les plus contemporaines. Originaire de la corne de l’Afrique, anciennement connue sous le nom de pays de Pount, le résinoïde* de myrrhe a subi chez LMR* une distillation moléculaire* qui en restitue le cœur balsamique chaud avec des nuances de réglisse. Dans la formule, il est en overdose*. Pour en amplifier l’aspect liquoreux, on retrouve une dose d’absolu* rhum, prêt à flamber sous des notes minérales de pierre à feu et de poudre à fusil. La baie rose C02* LMR pimente un peu plus ce cocktail dynamite. En fond, le patchouli cœur*, le vétiver et l’angélique ancrent en terre la forme crée, pour mieux illustrer le côté «racine» de la parfumerie qui l’a inspirée.
Dominique Ropion
Inspiration
Si la parfumerie a ses grands monuments, le Kyphi en est la pyramide de Khéops. Kyphi veut dire «le parfum deux fois bon»: bon pour les dieux, bon pour les hommes. En termes de promesse marketing, on n’a jamais fait mieux. Sa recette est surtout la plus vieille qui nous soit parvenue. Gravée sur les murs des temples égyptiens, consignée par les grands historiens de l’antiquité, elle mentionne une vingtaine d’ingrédients pour un substrat de nature huileuse. Il y a quelques années, Dominique Ropion en avait repensé la composition en vue d’un support alcoolique et deviné les proportions absentes des hiéroglyphes. C’est sous cette forme que le Kyphi est présenté au Grand Musée du Parfum. Aujourd’hui, dans le contexte du Speed Smelling™ et en raison de son thème – la réinvention des classiques sous le sceau du Postmodernisme –, le parfumeur a reformulé son Kyphi original pour le réinterpréter au goût du jour ou de celui de demain.
Description
Le premier Kyphi formulé par Dominique Ropion fonctionne ici comme une base* à réinvestir, transformer et décaler. Il est originellement marqué par un accord* miellé, contenant un absolu* cire d’abeille LMR* et un absolu genêt LMR. On retrouve aussi une forte dose d’épices comme le safran, la cardamome et le gingembre. En fond, l’essence de cypriol – issue d’une forme de papyrus – et la myrrhe – ingrédient phare du monde antique – indiquent que ce produit est bien né sur les rives du Nil. Pour le moderniser, Dominique Ropion l’habille de matières inédites alors, des molécules captives* IFF* telles que le Cosmofruit™ – aux notes de fruits confits accordées au raisin de la formule initiale –, le Vertonic™ – une note verte sans concession –, et, moins anachronique ou exotique, l’oud qui se marrie parfaitement au cypriol. Par ces audaces, le Kyphi remonte le temps et prend de l’avance, comme il l’a toujours fait.
Nelly Hachem-Ruiz
Inspiration
Langage d’émotions instantanées, communication d’un état d’esprit, d’une envie, d’une ambiance, les émoticônes ne sont pas sans ressemblances avec le parfum. Désormais incontournables de l’ère 2.0, chaque année, de nouvelles images sont créés pour mieux suivre l’air du temps. Si le monde dit digital commence à peine à intégrer les odeurs à ses circuits, Nelly Hachem-Ruiz s’attaque à traduire les émoticônes en odeurs. Elle présente, pour l’édition 2017 du Speed Smelling™, une interprétation d’un émoji apparu cette année, une femme qui allaite son enfant. Plus qu’une situation, la vignette renvoie à un sentiment, que le parfumeur, jeune maman, connaît pour l’avoir vécu tout récemment. Au-delà d’un souvenir biographique, il est question de créer une odeusigne qui soit reconnue de tous, un caractère universel.
Description
L’instant est chaud, doux, apaisé. Un nuage de lait vanillé enveloppe les deux corps connectés. L’évocation est subtile, il ne faut pas trahir la délicatesse du moment. Des liens invisibles se tissent dans ces molécules partagées. Elles donneront à tous les petits d’homme une appétence marquée pour la vanilline, proche d’un des constituants du lait maternel. Pour le figurer, le santal blanc d’Australie a été choisi, sa tonalité crémeuse s’unit à l’héliotrope poudré et quelques lactones coco. La texture est nuancée de touches d’iris et de vanille naturelle. Vient ensuite, comme un exhausteur d’odeur, le patchouli cœur* LMR*, terrien mais pas terreux, il ancre le parfum dans une tendance chyprée, sous le signe de Gaïa, la nourricière. Basic Instinct pourrait-on dire. Le moment est primaire au sens d’inaugural, ici tout se joue sans enjeu.
Avis
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