« Le bien et le mal, le bon et le mauvais, le beau et le laid, le gentil et le méchant, la vérité et le mensonge, le vertueux et le diabolique... Dans une société en proie à une polarisation et un manichéisme grandissants, la neutralité et la nuance peinent à trouver leur place. Les odeurs ne font pas exception : ça sent bon ou ça sent mauvais, les deux catégories constituant souvent les seules alternatives lorsqu’il s’agit de qualifier ce que l’on flaire. Étrangement, dans ce registre, l’aversion semble nourrir un champ lexical bien plus étendu que l’inclination. Un coup d’œil au dictionnaire des synonymes nous enseigne en effet que, face aux quelques sentir bon, embaumer ou fleurer, une ribambelle de puer, fouetter, cocotter, schlinguer, empester, poquer, emboucaner et autres fétide, malodorant, nauséabond, pestilentiel ou infect permet d’être largement plus expressif lorsqu’il s’agit d’émettre notre réprobation olfactive.
Dans le vocabulaire de l’odorat, exprimer le beau, le bon, le bienfaisant serait-il ainsi moins utile à notre survie ? Ou sommes-nous simplement insuffisamment entraînés à explorer cette palette de ressentis intimes avec subtilité, laissant plus volontiers jaillir un rejet viscéral, car instinctif et incontrôlé ?
Lorsque nous bénéficions d’une éducation olfactive, en revanche, le nez se met peu à peu à sortir de la dichotomie habituelle pour se placer davantage en observateur bienveillant, plus analytique et moins impulsif. Nous court-circuitons ainsi le fonctionnement primitif de notre cerveau pour mieux appréhender cet univers invisible, apparemment inaccessible.
Et si apprendre à mieux écouter les odeurs pour en discerner les facettes, les raisons d’être, les informations qu’elles nous transmettent, c’était déjà lutter à notre échelle contre la bipolarisation du monde ? »
Jeanne Doré (Directrice éditoriale de Nez)
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